Intéressant et riche podcast qui m'amène plusieurs remarques, pas forcement liées. Je vous les livre un peu en vrac.
1) Sur le cinéma que Fabien qualifie de médium passif (et même "autoritaire" je crois)
Je suppose que cette idée vient du fait que le cinéma impose trois choses au spectateur :
*ce qu'il voit
*ce qu'il entend
*la vitesse du film
S'il y a bien une réflexion à mener sur le travail qu'une œuvre laisse à l'imagination du spectateur, elle ne permet pas une hiérarchisation aussi simpliste. Le cinéma ne pouvant être pensé sans la notion de hors-champ qui laisse au spectateur le soin de reconstituer ce qui est hors du cadre (qu'il s'agisse d'éléments physiques ou des pensées de ses personnages).
On pourrait renverser la critique contre le JDR en faisant remarquer qu'il est très courant que les films nous montrent des personnages dont nous ne savons pas qui ils sont et dont nous ne comprenons pas les actes. A l'inverse, il est rarissime que le JDR nous laisse dans une situation où nous ne savons pas tout sur les PJs, leurs motivations étant la plupart du temps explicites. La mise en commun des imaginaires amène un travail d'uniformisation des points de vue autour de nos tables de jeu, uniformisation que le cinéma peut paradoxalement éviter.
2) Sur la "société de production" qui serait la notre
Il ne me semble pas suffisant de penser notre société comme une "société de production". Cette production ne peut être absorbée que dans une société qui consomme du loisir (la programmation télé et le nombre d'émissions de divertissement invalidant l'idée d'une société de seule production). Il y a une double injonction de sérieux (pour pouvoir produire) et de détente (pour consommer).
3) Sur les prix des JDRs
Je ne pense pas que les prix choisis par Fabien pour Monostatos et par Romaric pour Sens reflètent des positions très différentes. J'ai en tête des coûts de production de 6 euros pour Monostatos et de 12 euros pour Sens, le rapport coût/prix des deux jeux étant assez similaires.
Il y a à mon sens une erreur dans l'idée qu'un prix plus élevé amènera des bénéfices plus élevés. Outre les barrières psychologiques qui font qu'il est très facile d'acheter des jeux à très faible prix (je n'hésite pour ma part presque jamais à dépenser 10 dollars ou moins dans un jeu), il me semble intéressant d'observer deux expériences de fixation des prix dont les résultats ont de quoi surprendre tout étudiant en économie.
expérience 1 : la rançon
Cédric Ferrand avait décidé de ne développer son jeu,
Brumaire, et de ne le mettre gratuitement en ligne que s'il obtenait une "rançon" de 500 euros (n'importe qui pouvait participer). Il y était parvenu et avait donc été payé 500 euros pour un PDF d'une cinquantaine de pages (à comparer -par exemple- aux 700 euros que Fabien disait avoir gagné pour un jeu de plus de 100 pages).
expérience 2 : les pays what your want
Inspiré des pratiques de Radiohead et surtout des bundles de jeux-vidéo, plusieurs auteurs ont participé à des opérations -souvent temporaires (l'exception étant Ben Lehman)- de jeu au prix libre. Il s'agissait généralement de jeux en PDF mais Ben Lehman fut une nouvelle fois l'exception en proposant des exemplaires physiques de Clover à prix fixé par l'acheteur (éventuellement 0 euro). Là encore ces opérations furent souvent des succès (dont le Clover de Ben Lehman).
4) Sur l'indépendance et la diffusion du JDR
J'avais eu l'occasion d'en parler sur SIlentdrift à l'occasion du compte rendu de publication de Frédéric sur Prosopopée mais l'indépendance n'a -à mon sens- pas résolu le problème de l'accès à son public.
Prosopopée me semblait un exemple type d'occasion manquée (espérons qu'il y ait des occasions réussies), il s'agit d'un jeu qui par son thème, sa simplicité, sa facilité de mise en œuvre et sa qualité pourrait toucher un très large public (dont un public qui n'est pas aujourd'hui rôliste). Il est pourtant aujourd'hui considéré comme un jeu de niche parmi une niche (pour faire un parallèle avec le jeu de société, c'est comme si
Twilight Imperium était considéré comme le "mainstream" et
Il était une fois le jeu de niche).
L'indépendance nous permet d'être certains qu'il existera toujours des jeux qui nous plairont. Le défi de l'autoédition sans prise de risques financiers ayant déjà été relevé par quelques auteurs (au moins une dizaine en France et peut-être des centaines à l’étranger).
Il lui reste un défi à relever : la diffusion des jeux indépendants auprès du public qu'ils sont susceptibles de toucher. Le défi n'est pas relevé pour des jeux comme
Prosopopée(vendu 100 exemplaires en un an) ou
Pirates !. Vous assumiez dans le podcast d'utiliser le terme "élitiste" dans le "bon sens du terme", il faut à mon sens aussi assumer d'utiliser le terme "tout public" dans le bon sens du terme.
5) Sur la durée des parties et les jeux exigeants
Grand amateur de parties courtes. J'ai un parallèle taquin à faire entre les week-end JDR et les séries télé.
De nombreuses séries télé fonctionnent sur un format 22x42 minutes qui forcent les scénaristes à produire de la quantité au détriment de la qualité, c'est généralement l'impression que j'ai quand j’accepte de jouer des parties de plus de 3 heures.
Étant de ceux qui préfèrent les nouvelles de Zweig aux romans de Katherine Pancol, je trouve comme Thomas que la durée des parties est un très mauvais critère de hiérarchisation (ou alors en l'inversant). Il existe d'ailleurs des jeux jouables en un quart d'heure,
celui-ci par exemple.
J'ajoute ne pas aimer beaucoup de jeux "exigeants", ne serait-ce que parce qu'ils placent leurs exigence sur des points qui sont à mon avis sans intérêt (exemple : je n'aime pas beaucoup les jeux "historiques"). Je me méfie plus des dogmes sur ce que pourrait être un jeu exigent (on a passé des années à "exiger" des règles de combat complexes et nuisibles à la qualité de nos parties) que de la simplification du JDR.
PS : Je ne connais pas ses textes sur la condition de l'écrivain (Fabien en avait parlé sur Silentdrift je crois) mais B.Lahire s'appelle Bernard et non Bertrand !