Je trouve très intéressante les nuances de vocabulaire que vous prenez le temps de faire dans ce podcast. Notamment sur l'usage du terme "théorie" qui est inapproprié. Il y a d'ailleurs un paradoxe entre son usage dans l'expression "théorie du genre" (on utilise le terme pour décrédibiliser un fait, les différences de genre) et celui de "théorie du complot" (même si l'expression "théorie du complot" est presque systématiquement dépréciatif, le terme "théorie" est ici positif).
On observe cependant quelques difficultés avec le raccourci entre "complot" et "théorie du complot", par exemple quand Fabien parle des "nombreux complots qui existent sur l'affaire DSK".
J'aime aussi bien le terme de "pensée du complot" parce que le complotisme est d'abord un mode de pensée, une méthodologie produisant une explication du monde. Méthodologie séduisante parce que fertile (elle permet de fournir des explications sur à peu prêt tout fait sociétal) et flatteuse pour l'imaginaire. De la même façon que Don Quichotte préfère voir des géants là où il y a des moulins, on peut préférer (moi le premier) voir un complot plutôt qu'un accident.
Je ne suis du coup pas d'accord avec Olivier sur la pertinence de l'expression "théorie du complot". En rapprochant des pensées avec -disons- la théorie des reptiliens, on décrédibilise certes la pensée en question. En même temps on rapproche des modes de pensée similairement fallacieux et on s'offre des outils pour les analyser (on gagne beaucoup de temps à comprendre les discours climatosceptiques si on a étudié les discours complotistes autour du 11 septembre par exemple).
Sur les explications de la progression des discours complotistes (qui reste cependant à évaluer, les théories sur l'assassinat de Kennedy ne datent pas d'hier par exemple), celle d'Olivier est en partie vérifiée par les faits. Je n'ai plus l'étude sous la main mais il me semble me rappeler que l'on observait une augmentation des croyances complotistes autour du 11 septembre suite aux révélations sur l'absence d'armes de destruction massives en Irak. Il y a bien effet des complots dévoilés sur les croyances complotistes.
Une autre explication sociologique qui m'avait interpelé était la "thèse des intellectuels frustrés" (qui explique plus globalement la progression des pensées critiques radicales). Le déclassement de certains diplômes qui amènent des diplômés du supérieur à accepter des boulots qu'ils considèrent comme sous-qualifiés. On génère alors des "intellectuels frustrés", l'institution scolaire ayant validé leur intelligence, ils se sentent légitime à penser par eux même sur n'importe quel sujet. Cela peut amener un rejet de l'expertise et un dévoiement de l'esprit critique (c'est la fameuse
méthode hypercritiquequi rend aussi pénible la discussion avec des complotistes).
J'ajoute que je partage l'intuition de Romaric sur la jouissance et le plaisir complotiste. Il faudrait peut-être valider l'hypothèse et je ne dis pas que tous les complotistes sont joyeux (nous ne sommes après tout pas obliger de trouver une explication unique à toutes les pensées complotistes), mais je pense que l'aspect joyeux est très présent dans le complotisme.