par Milhaz (Pierre) » 18 Juin 2014, 18:41
Bonjour à tous,
La question de la frontière entre l'art et l'artisanat est pour le moins épineuse. Si je pousse à l'extrême ta vision de la chose, Globo, j'en arrive au fait que l'art doit être exclusivement consacré au loisir (en définissant par "loisir" une activité qui ne me nourrit pas, qui ne me rapporte rien) et plus mon art demande de la technique et donc du temps, et plus il est exclusif quant à l'énergie devant lui être consacré. On considère donc que l'artiste doit se sacrifier pour son art, puisque incapable de se nourrir avec (je devrais dire plutôt, "interdit de se nourrir avec", sous peine de tomber au rang d'artisan). Ainsi, en considérant un art si exclusif qu'il oblige son créateur à s'y consacrer à temps plein, celui-ci va finir par donner sa vie pour faire vivre sa création. L'art véritable serait donc une espèce d'ogre consommateur de son créateur.
Cette vision intellectualise énormément ce que doit être l'art, je trouve, puisqu'il est corrompu dès seulement que le concept marchand est évoqué. L'essence de l'art est-elle si fragile que la simple récompense de son artiste suffit à l'abaisser au rang d'artisan, de concepteur d'objet, et à lui faire perdre la reconnaissance intellectuelle et symbolique de son oeuvre ?
L'art ne doit pas être considéré comme un bien à valeur marchande, je serais tenté de te rejoindre sur ce point. Néanmoins, peut-on placer sur le même plan un peintre qui peint pour vendre ses toiles, et un écrivain qui publie pour se payer le papier qui va lui permettre de continuer à écrire ? Je pense qu'il faut séparer la fin du moyen, et sur ce point-là, je rejoins Romaric qui dit que l'artiste, pour créer, doit séparer son art des contraintes matérielles. Donc trouver un moyen d'en vivre. Mais pas d'en faire du profit.
Après, c'est là que la notion est subjective... À partir de quand pervertit-on son travail/son art ?
Elbj, tu affirmes que ta récompense suffisante réside dans le bonheur des autres et leurs remerciements. Certes, c'est extrêmement généreux de ta part mais si le GN devenait chronophage au point que tu doives choisir entre ton travail et ta passion, que se passerait-il ? Accepterais-tu de te faire payer pour la pratiquer aussi bien ? Si non, trouverais-tu normal d'abandonner quelque chose qui t'épanouit, dans laquelle tu es doué, etc, pour une question matérielle ? Si oui, ça pose la question de la démocratisation de tout ce qui touche aux loisirs/l'art (pour parler en gros). L'art finalement ne serait accessible qu'à une minorité, aux "rentiers" de Globo.
Au final, une dernière question me trotte dans la tête. Est-ce que la rémunération d'un travail artistique en "nature" vous choquerait autant ? J'illustre avec un exemple : j'organise des soirées ludiques ou je suis DJ, je vais chez des amis d'amis, j'ai beaucoup de matériel, etc. Je refuse de me faire payer mais cela ne choque personne si j'accepte le repas de ces gens ou un service plus tard. Pourtant, de l'argent aurait pu me permettre de me payer moi-même ce repas.
Est-ce que ce n'est pas l'introduction d'un concept matériel et "froid" comme l'argent, et surtout, surtout, la quantification de notre travail/oeuvre qui nous choque ?