Alors pour être plus précis, il y a deux choses à l'origine de ce concept, je pense que je l'ai présenté à l'envers (le fait de ne pas avoir écrit d'article fait que beaucoup de choses se bousculent dans ma tête) :
1. Tout d'abord, l'idée que quand on crée un jeu, il y a de fortes chances que l'on compense en le playtestant, en utilisant des techniques et des règles tacites en tant que MJ, joueur ou groupe, que l'on n'a pas inscrites dans le texte du jeu. Parfois ces règles et techniques amélioreront sensiblement la partie, mais parfois elles sont très importantes pour son bon fonctionnement. D'où l'importance de le faire tester par d'autres joueurs, et d'autres MJ/animateurs.
Parmi tous ces éléments, certains ne seront pas importants, car en les remplaçant par d'autres techniques et règles tacites, le jeu fonctionne tout aussi bien (et il est possible que certains groupes compensent assez naturellement dans le bon sens, mais peut-être que d'autres non). Mais il est possible que certains éléments de compensation soient importants pour obtenir une expérience satisfaisante ou pire, fonctionnelle.
Si on compte trop sur la compensation, on prend le risque, dès lors qu'on sort de la pure boîte à outils, que les joueurs (MJ compris) ne trouvent jamais vraiment comment bien compenser un système, ou jouent quelques expériences déplaisantes ou moyennes et ne rejouent jamais au jeu par la suite.
- Je pense que certains jeux n'exigent aucune compensation, ce sont les jeux qui placent le joueur comme "catalyseur" de la partie. Ce sont les jeux que je préfère et je crée mes jeux en pensant comme ça. Mais créer des jeux comme ceux-là est extrêmement difficile (mais pas impossible, dans mon expérience).
Certains jeux s'orientent comme "jeux à catalyser" mais ne sont pas vraiment complets, dans certains cas, ça n'empêche pas le jeu de fonctionner, dans d'autres, ça crée des irrégularités dans la qualité des parties, dans d'autres, ça marche avec certains groupes mais pas avec d'autres.
2. Les jeux boîte à outils reposent beaucoup sur la compensation des groupes. Quand un groupe a appris à jouer ensemble ou joue de longue date et a harmonisé la pratique de ses membres, la compensation n'est pas un problème. En revanche, dès lors que différents individus d'horizons très différents se réunissent pour une partie d'un jeu "Boîte à outils", ça peut devenir une cacophonie. Parce que la compensation implique des techniques de jeu qui peuvent être très spécifique d'un joueur à l'autre, parfois difficilement compatibles. C'est, je pense, ce dont parle Vivien.
J'ai souvent constaté des parties excellentes, mais où le jeu n'y était pour rien, voire gênait la qualité créative et performative des joueurs. Ce sont, je pense, les vertus de la compensation : permettre de jouer de bonnes parties, même avec des jeux qui ne créent aucune qualité dans le jeu de par leur système.
Mais le prix de la compensation, c'est un effort de la part des joueurs (MJ compris), et une possible incompatibilité avec les techniques de compensation d'autres personnes ou d'autres groupes. C'est donc plutôt une qualité pour les groupes dont la pratique a été harmonisée.
- Autre cas de figure : je constate parfois que des "jeux à catalyser" posent problème à des joueurs qui ont l'habitude d'importer leurs techniques de compensation, car ces techniques se heurtent à un système déjà complet, qui n'a pas besoin d'elles et dans d'autres cas, ces techniques de compensation peuvent s'avérer incompatibles avec lui.
En revanche, les joueurs qui ont l'habitude de catalyser peuvent à mon avis s'adapter plus facilement à différents types de jeux de ce style (si on met de côté toute histoire de goûts personnels).
De même, un jeu peut offrir une large amplitude d'appropriation pour les joueurs (MJ compris) sans demander de compensation, en définissant de façon précise le champ des possibles de ce qui reste dans une utilisation optimale de son système
Tu m'as mal compris, Kiraen : je parle de jeux à catalyser, pas de jeux à compenser. Ça signifie qu'un jeu comme Démiurges, sans demander la moindre compensation, permet de jouer des choses très différentes et peut donc s'approprier facilement par des groupes qui ont envie de le tirer dans une direction ou une autre, en terme de thématiques, d'univers, etc. mais pas de système. Le jeu a défini un certain cadre dans lequel on peut faire des choses variées. Pourtant, Démiurges n'est pas du tout un jeu Boîte à outils, c'est même un jeu très complet et assez spécialisé dans lequel je donne beaucoup de clef pour optimiser la façon d'y jouer. Je donne le cadre dans lequel on pourra jouer de façon optimale (catalyser). Je ne peux pas empêcher les MJ et joueurs de sortir de ce cadre, mais ils savent que dès qu'ils en sortiront, ils devront probablement compenser pour ne pas perdre en qualité de partie.
L'exemple que je donne est donc l'exact contraire de ce que tu décries. ;)
Reste la question de l'exigence de chacun. Je crois que la question de la compensation/catalysation (oui, je sais, ce mot est un néologisme) est transversale à celle du goût et de l'exigence. Il ne s'agit pas tant de qualité de parties que de fonctionnement de parties en ajoutant ou non des techniques et règles supplémentaires. On peut détester une partie en reconnaissant qu'elle était parfaitement fonctionnelle, voire efficace pour atteindre son but.
Et c'est la grande difficulté de tout créateur de jeu et de toute réflexion : le JdR est extrêmement soumis à la subjectivité de ceux qui le pratiquent. À tel point qu'un jeu peut être considéré par les critères les plus objectifs possibles comme minable et plaire à un grand nombre de groupes. Et je pense que la compensation est une explication de ce phénomène : il faut toujours garder à l'esprit qu'un JdR est énormément contrefait par les personnes qui y jouent.