J'avais bien saisi, et c'est bien de ça que je te parle quand je te dit "effet de système".
Ce ne sont pas les règles en elle-même, mais du jeu appliqué. Et c'est le jeu
appliqué qui est important (au passage ne voir que des règles de combat dans donj' et en déduire que ce jeu n'est qu'un jeu de baston est un peu triste mais passons).
Je ne m'imagine pas lire un jeu, après, disons, pas mal de pratique (je n'ai pas assez de doigts y compris de pied pour compter les années de pratique, y compris si tu rajoute la main froide et toute dure qui traine dans ma cave), sans pouvoir imaginer à la lecture d'un jeu cette qualité là, lors de son application dans les parties. Oui, par contre "la théorie ne remplace pas la pratique". Ok. Mais justement.
Toon. Paranoïa. C'est grillé, quand un jeu essaye d'aller vers ça.
J'ai expérimenté ce phénomène deux fois en joueur et une fois en maitrise, je pense.
Et ces exemples sont complètement à coté de la plaque au niveau des restrictions que vous mettez sur la systémique :
- il y a 15 ans, j'ai gardé un excellent souvenir d'un semi-réel que j'ai joué à Besançon utilisant les règles de l'AdC. Il s'agissait d'une semi-murder party avec prétirés en mode pvp. Vivien y était d'ailleurs et je me demande si ce soir là n'a pas été l'une des sources d'inspiration pour Perdus sous la pluie.
- Suite à ceci, un scénario que j'ai écrit pour Agone dans le cadre d'une convention, utilisant le même "trick" (prétirés, chacun avec une bonne raison de trucider un autre et d'en protéger un troisième. Le tout assorti d'une excuse de scénario à la "jour sans fin"). Il s'agit de la meilleure partie que j'ai animée à ce jour (ce scénario n'a jamais été fini - j'ai improvisé une fin bidon pour réveiller les joueurs quand j'ai commencé à en voir discuter d'autre choses, en laissant du temps de partie à la fin pour résoudre les choses que les gens voulaient finir - et je ne l'ai jamais publié sur le net comme j'ai fait les autres fois).
Je pense avoir été particulièrement chanceux sur mes joueurs (en convention, on a du touriste et du passionné en même temps).
- Il y a une quinzaine d'années, sur une campagne complète sur L5A. Jeu ludiste par excellence, le meneur a fait sauter la plupart des contraintes d'univers et de convention rôlistique de l'époque 2000. Exemple : 1 MJ, 15 joueurs à table tournante.
Nous jouions des seconds de Daimyos, qui finissaient par trucider la plupart d'entre eux pour prendre leur place. Je jouais le plus gros salopard que j'ai jamais joué (se faire passer pour un membre d'une famille d'ennemis héréditaires (je jouais Soshi, l'autre c'est Kuni, pour les experts), épouser dans cette famille une joueuse "fille de" Daimyo mineur, lui faire des enfants, s'arranger politiquement pour faire trucider le beauf puis vendre l'un des enfants à l'Ombre... En échange de quoi le Daimyo Crabe crève lui aussi pour finir la campagne Daimyo consort. Le tout assorti de chutes dans l'escaliers diverses et variées).
Bref, c'était Dallas, version grobill, en mode buffet à volonté tout gratuit. On a cassé l'univers, oui, mais c'était jouissif.
A chaque fois, il s'agissait de casser des éléments d'un jeu, à dessein, pour obtenir ce que nous voulions expérimenter.
A chaque fois, le meneur de jeu sort de son aspect principal de conteur pour devenir arbitre, metteur en scène et maitre du temps car la fiction inter-joueur prends trop de place pour rester en contrôle pur.
A chaque fois, il y a eu l'apparition d'un vortex de tension-résolution qui te suce la tête au point d'en avoir des vertiges lorsque la partie se termine. A chaque fois.
(j'appelle ça des
anatoles pour faire un parallèle avec la musique).
C'est exactement des anatoles. Tes résolutions deviennent des questions. Et ce qui n'a pas été répondu doit être résolu par une autre approche : cf le schéma de Baker.
La frustration issue du scénario fait que les joueurs tournent autour du pot de miel.
Et à chaque fois, ce sont des jeux traditionnels, non prévus pour, pour lesquels la TABLE s'est conformée aux choix "éditoriaux" des meneurs de jeu.
Il ne s'agit pas ici d'une qualité systémique, mais d'une qualité d'organisation, d'une application inspirée (inspirante ?) de la triche (puisqu'il s'agissait de faire sauter des limites et des sens interdits), d'une "confiance partagée" (l'autorité pour le coup, est strictement, entièrement, totalement entre les mains du MJ - il s'agit de trois jeux à secrets, qui vont être révélés, donc c'est obligé), de maitrise des temps de jeu (ex: "trahissez à la fin, svp, là c'est le moment où c'est le jeu qui vous trahit").
Et d'un peu de chance aussi pour que la mayonnaise prenne, probablement.
Bref : le tout n'est pas une affaire de systèmes, pour moi, mais de pelles et de rateaux confiés aux joueurs.
Les seuls points communs:
- pvp. C'est ce qui aide à faire émerger en dur la création fictionnelle inter-joueurs. Le MJ devient spectateur, arbitre et critique. Il n'a plus qu'à gérer les décors. Il n'est plus le parent de l'histoire pourtant écrite mais sur-créé lors de la partie. Il est l'accoucheur, et non plus l'auteur.
- scénario sandbox et "confiance partagée".
S'il y a adaptation d'un univers et des règles, il ne s'agit pas de laisser la bride complètement lâche aux PJ mais aussi de rappeler que si le personnage d'un joueur a des buts antagonistes fort envers un autre joueur, que "peut être, si le mec qui a écrit les prétirés est un petit retord, on peut imaginer qu'il y a un autre sur la table qui pense des saloperies sur toi".
Ça équilibre les volontés destructrices, jusqu'à un certain point. Il s'agit de divertir, d'embrouiller les jugements jusqu'à un joueur trouve sa solution et tire le premier. Et là de dire "ok les gars, open bar, lâchez vous".
- one shot. Ce qui en général est aussi très parlant pour qualifier le destin des personnages des joueurs. Il n'y aura pas de conséquences, c'est une limite qui saute. Ça va partir en sucette (gout cerveau), oui, mais en sucette créatrice de fiction.
Mais s'il s'agit là de systèmes +/- homebrew, aucune règle de jeu n'a été malmenée pendant ces parties là. Un observateur extérieur calé sur les règles de chacun de ces jeux n'aurait pas pu voir d'entorse géante aux règles des jeux que nous avons utilisé.
C'est la table et uniquement la table qui a "fait que".
Ainsi quand j'entends "non, Donj', y a pas", je réponds "ça dépends comment la partie est maitrisée". Et uniquement de ça. C'est propre au média jeu de rôles, pas aux jeux.
Je sais comment faire jouer à n'importe quel jeu de manière dirigiste, de manière sandbox, ou de manière transverse. Il s'agit de tordre des effets de scénario ou de tables pour obtenir l'un de tes buts : c'est pas des effets de système, mais des effets de scénario, de maîtrise, de manipulation de tempo.
Les trois exemples sont typiquement des jeux pour lesquels vous diriez "non, y a pas".
- L5A avec sa gauge d'honneur ? Impensable. Sauf si l'Honneur n'est plus un enjeu central mais qu'on déplace les thèmes vers le greed.
- Agone avec sa thématique de défense primordiale d'une cause perdue ? Mais si le joueur est lui même cette cause perdue ?
- Et enfin le rigide Cthulhu, avec ces scénarios tryptique enquête-sorcier-tu meurt ? Et si l'horreur venait des autres joueurs cette fois-ci ?
Je répond "scénaristique, rythmique et table", les trois grands oubliés du GNS selon moi.
Il ne s'agit pas de systémique, il s'agit de jouer sans filtres, de retirer la ceinture de sécurité et toute les limites juste pour voir si l’adrénaline ne monte pas plus vite.
Et ce qu'elle engendre, s'il y a "confiance partagée". Je pense qu'on peut obtenir ceci avec n'importe quel jeu, car ce ressort compétitif est particulierement facile à mettre en oeuvre. Mais pas avec n'importe qui.
Après, ici, je ne parle que des moments où j'ai senti ça : en gros des Reservoir Dog - like.
Le compétitif est un domaine restreint des moyens dont vous ne parlez pas assez dans le podcast mais en tout cas, ce moyen là est universel. Tu l'aurais dans du P'tites sorcières si tu en souhaite.
"Coucou les enfants, il n'y avait qu'une part de gâteau... Qui l'a mangé ?"