D'humeur inspirée, j'ai envie de partager avec vous des petits récits qui me sont inspirés par Sens et qui déroulent sur Sélénée. (Il se pourrait tout à fait que certaines histoires mènent à des scénarios pour ma table qui est en train de se monter)
Le professeur Stophane
Enseigner était devenu une corvée. Devant son tableau, Galien contemplait la trentaine d'élèves qui notait attentivement les
formules écrites au tableau. Ceux-là étaient les plus agréable. Sur les trente élèves, seulement cinq étaient vraiment intéressés par le
cours. Les autres venaient par habitude ou parce qu'ils avaient des crédits à valider. Mais au moins, ceux-ci prenaient des notes en
silence. C'était la vingtaine d'autres élèves qui posait problème. Ils ne prenaient pas de notes, ils n'avaient même pas l'intention de
valider cette matière. Ils se contentaient de rire du jeune professeur et de ses vielles théories farfelues. Comment, à son âge, pouvait-on
autant tenir aux vielles machines de l'université? Il fallait être un obscurantiste imbécile pour préférer les lectures floues et imprécises
des antiques accélérateurs à particules aux faits de Cosmo et Rebirth. Quant au reste des deux cents élèves inscrits à son cours,
ils ne venaient tout simplement pas.
Cela faisait quatre ans que ce manège se répétait. Les élèves changeaient mais les critiques restaient les mêmes. À Doxistéron, tout
le monde se moquait ouvertement des idées blasphématoires du jeune professeur tout fraîchement recruté. Comment l'université avait-elle
pu donner un poste à quelqu'un qui remette ainsi en cause la Vérité? Il fallait être idiot pour le suivre dans ses inepties. Ceux qui
osaient croire à ses bêtises étaient montrés du doigt, mis à l'écart. Le semestre dernier, huit élèves suivaient le cours de Galien
par intérêt, aujourd'hui ils étaient cinq. À ce rythme là, il pourrait arrêter d'enseigner dans un an. Sa carrière de professeur aura été
courte et désagréable, exactement le contraire de ce qu'il s'imaginait pendant son doctorat. Plutôt que de décevoir ses convictions et se plier aux
simili-vérités de Cosmo et Rebirth, il préférait encore décevoir ses ambitions. Si les "scientifiques" d'aujourd'hui refusaint d'admettre
leurs erreurs, alors Galien n'avait plus rien à faire avec eux. Il n'aurait qu'à se retirer dans sa tour d'ivoire et attendre patiemment
que quelqu'un vienne l'y chercher.
Galien fut tiré de ses rêveries par le vacarme des élèves rangeant leurs affaires. C'était l'heure du prochain cours. L'une des élèves
s'approcha, les yeux pétillants, avides de savoir. Déborah, l'une des cinq "intéressés". Comme à chaque fin de cours, elle avait une question à
poser. Cette fois-ci c'était sur le modèle statistique. Une constante lui posait problème. Elle semblait sortir de nulle part. Cette élève
était brillante. C'était des personnes comme Déborah qui poussait Galien à persister, à recruter de nouveaux élèves et à se battre
contre l'arrogance de ses collègues. Il répondit à la question et ferma son cartable en la regardant partir. Dans l'encadrement de la
porte, une nouvelle silhouette s'était dessinée. Il reconnu Anastasia.
"- Bonjour, docteur Stophane, dit-elle en s'approchant du bureau.
- Bonjour, professeur Endeba. Vous souhaitez me voir?
- Je passais dans les environs. Je me suis dit que je pouvais venir vous saluer."
Les deux amis échangèrent un sourire complice avant de reprendre.
"- Comment était le cours?
- Comme d'habitude. Le visage de Galien s'assombri.
- Oh. Tu m'en vois navrée.
- Je commence à avoir l'habitude. Tout ce qui les intéresse c'est Cosmo et Rebirth. Alors forcément, j'ai l'air d'un abruti avec mes
grosses équations et mes expériences foireuses ...
- C'est le triste sort qui nous est infligé par Myphos et ses machines, ponctua Anastasia.
- C'est le triste sort d'une communauté qui a oublié ce qu'est un véritable scientifique. Cosmo et Rebirth sont de remarquables outils,
Anastasia. Ce n'est pas d'elles que vient le problème.
- Tu t'es toujours opposé à leur destruction. C'est une position intéressante, sachant à quel point tu souffre de leur existence.
- Toi et Nicolaï vous pensez que ce sont elles le problème. Il est donc logique que vous cherchiez à les détruire. Je pense qu'elles sont
juste mal appréhendées. Elles sont des outils pour nous aider à mieux comprendre notre univers. Tout le monde a accepté que le monde
réel soit déterminé par les Runes. Combien d'entre eux ont étudié la démonstration? JE l'ai fait et je n'en suis toujours pas convaincu!
- Oui, nous connaissons tous ta position sur ce sujet, Galien, coupa Ansatasia en tentant de calmer son ami.
- Pardon. Ça doit être le cours, ça m'a mit sur les nerfs.
- Adrien a encore fait des siennes?
- Il m'a coupé en pleine explication du modèle de Hazif. Il a crié que c'était juste des conneries et que c'était une honte qu'on m'ait accordé
mon doctorat. J'ai beau faire des efforts pour l'ignorer, ça reste difficile d'entendre ça jour après jour.
- Et dire qu'a son inscription à Doxistéron, Adrien était un gentil garçon, curieux et passionné par les sciences.
- Oh, je ne le blâme pas. Chaque semaine, pendant plus de vingt heures, on lui rabâche que Cosmo et Rebirth sont la Vérité et que les
vielles théories avaient tout faux. Au bout d'un moment, on fini par se laisser convaincre."
Galien fixait la poignée de son cartable, les yeux dans le vague. Tout était toujours plus compliqué. Les gens, la science, la Vérité. C'est
un vieux rêve de scientifique que de connaître tout de la Vérité. Comment en vouloir à ceux qui se sont laissés duper par des
super-ordinateurs et un métaphysicien trop sûr de lui? Anastasia et Nicolaï lui avaient déjà proposé de rejoindre le Clair de Lune. Il en
était tenté, surtout depuis sa rencontre avec le duc Orion. Ce dernier semblait, lui aussi, penser que tout était plus un problème de société
que de science achevée. D'après lui, ils avaient trouvé des "bugs" dans Cosmo et Rebirth. Si le duc disait vrai, Galien aurait sans doute de quoi
convaincre les élèves, peut être même les autres professeurs, que la science n'était pas achevée, qu'il y avait encore beaucoup à découvrir. Mais
ni le duc, ni Anastasia n'avaient pu réellement lui démontrer ces fameux bugs.
Il leva la tête et pris conscience qu'il était resté silencieux pendant deux bonnes minutes.
"- Bon, c'est pas tout ça, mais il me faut un café! Tu me suis?
- Oui, mais allons plutôt le prendre dans mon bureau, répondit Anastasia, enjouée. Je voudrais te présenter quelqu'un dont nous t'avons beaucoup parlé."