Bonjour à tous !
Je suis nouveau sur le forum et après lui avoir acheté "en direct", j'ai fait un retour de lecture à Romaric, qu'il ma proposé de partager ici, dont acte.
Attention c'est un pavé. Si vous voulez directement la fiche de perso c'est ici : https://drive.google.com/file/d/1ggFKCW ... sp=sharing
ALERTE DIVULGÂCHAGE !
Retour sur le jeu et son système
Je commencerai par dire que le jeu est globalement très plaisant à lire et très bien écrit. La lecture se fait sans accroc et le nombreux exemples de partie contribuent à une lecture fluide et une compréhension immédiate des règles et concepts exposés (à de rares exceptions près, mais j’y reviendrai).
Tout d’abord je ne peux qu’admirer la très bonne définition du système de jeu. Le petit schéma de la table, la définition du maelstrom … tout ça est très clair et parfaitement cohérent avec ce qui est dit dans le podcast de la Cellule. J’avoue que j'étais curieux de voir tout ça intégré dans un jeu de rôle et que je ne suis pas déçu. Le système de résolution a une qualité haptique et visuelle, qui le rend aisé à comprendre par l’exemple, comme dans la vidéo teaser ou dans le podcast du playtest externe. D’ailleurs je me suis posé la question de pourquoi les gros dés destinés aux personnages que l’ont voit dans la vidéo n’étaient pas évoqués dans la base car c’est vraiment une super idée !
Je me demande si la feuille des problèmes pourrait être remplacée par un tableau blanc effaçable ou si rayer les problèmes est trop satisfaisant pour ça …
Les possibilités de spatialisation grâce à la feuille des problèmes m’ont rappelé la spatialisation de Danger Patrol de John Harper (dispo librement ici : http://www.dangerpatrol.com/) et de Old School Hack (idem : http://www.oldschoolhack.net/) qui utilisent des post-its pour les différents adversaires et arènes de combat. Une autre inspiration que j’ai pu ressentir avec ce sentiment d’aventure, cette structure en sandbox, cette science fantasy un peu cachée et ce endgame implicitement défini ne serait-elle pas le Donjons et Dragons des origines ? Bon là j’avoue je trolle un peu mais on sent quand même une influence (lointaine) de l’OSR j’ai trouvé (ou alors c’est moi qui projette).
La séparation des différents types de scènes est très bien fait, avec un équivalent cinématographique assez clair si j’ai bien compris :
- Scène de discussion = scènes de dialogue d’exposition
- Scène d’action = scènes de tension, d’action hollywoodienne mais aussi de dialogue tendu à la Tarantino
- Scène de répit = scènes contemplatives, de monologue, establishing shot
Au-delà de son cadre général, le jeu fourmille de petites pépites, comme la très astucieuse réutilisation de l’image du fantôme classique avec chaîne et boulets, ou la perception du souffle par les démons. Cette mécanique parfaitement intégrée dans l’univers permet de tout raconter aux joueurs pourvu qu’ils précisent qu’ils y portent leur attention en évitant le jet de TOC ou autre (ce qui se retrouve dans l’OSR une fois de plus) . Une expression que j’aime bien est celle du Commandeur de Michel Honaker, un sorcier qui “déploie ses cercles de perception”, de par son sens spatial, qualitatif mais aussi métaphysique.
A la lecture de Trip to Skye, je me suis dit que le système permettrait presque une partie sans MJ, avec une narration totalement partagée. C’est en lisant Secrets de Skye que je me suis rendu compte de l’ampleur du côté “à secrets” du jeu, qui est ingérable sans MJ (ou alors avec une compartimentation des secrets, une séparation des philosophies, mais après on se lance dans des trucs …), mais je pense que le système global pourrait parfaitement être utilisé tel quel pour ce genre de partie.
Suite à cette réflexion, je me suis dit que Volsung de 2d6+cool serait la personne parfaite pour un actual play. Son généreux partage de l’autorité narrative avec ses joueurs dans des jeux pourtant stricts, sa tendance à un play to loose magnifique et sa maîtrise des boards virtuels me font penser qu’il pourrait faire une superbe “partie filmée” comme il le dit .
Après la lecture de tout ça mille questions se bousculent dans ma tête, qui ne pourront être résolues qu’en maelstrom au cours d’une partie : comment un joueur qui incarne un spectre pourrait se servir des ailes ? s’agit-il d’un démon mort ou un mort peut-il devenir démon ? comment Sotiras “sauverait” Skye ? Sous quelles conditions Miden Miayn et Sotiras pourraient-ils envisager une alliance ?
Que de pistes pour l’imaginaire …
Au passage, j’aime beaucoup les noms de personnages comme Miden Miayn et Barbe-Brume, car ils sont faciles à retenir, comme tous les noms “à la Stan Lee" (Reed Richards, Susan Storm, Peter Parker, J. Jonah Jameson … il avait du mal à retenir les noms alors il leur mettait des noms et prénoms qui commençaient avec le même lettre).
Quelque chose de précieux et d’extrêmement jouable c’est le côté tier list des antagonistes comme dans les animes et dessins animés des années 90, où un méchant peut devenir un allié des héros contre les méchants plus puissants suivants sur la liste (notamment une alliance ultime de tous les anciens méchants contre Sotiras) , voire un ami. Pour le plaisir, une petite tier list perso :
- C-Tier : pirates, explorateurs rivaux
- B-Tier : Escadre Dorée, cultes d’Elenkis, obédiences occultes
- A-Tier : Miden Miayn
- S-Tier : Sotiras
Pour finir quelques points un peu plus négatifs :
- Elenkis est différent mécaniquement des autres obédiences, ce qui est moins élégant, et je ne vois pas trop pourquoi mis à part que ce sont les “méchants” (et encore, pas définitifs)
- La présence des animaux (notamment pour l’élevage), des animaux fantastiques et des monstres est assez floue dans la base. Ca a été précisé dans le podcast de la Cellule mais je trouve que ça manque un peu dans le livre.
- Tout le système des poids et sommes (SdS p.30) apparaît comme une mécanique de jeu chiffrée et assez complexe alors qu’il s’agit d’un élément purement fluff. Je me suis retrouvé à essayer de déterminer mentalement une échelle entre le poids et les kilos (poids d’un humain d’après les valeurs données : 1 à 4) et de considérer les poids négatifs (ascendants) comme des équivalents de réacteurs en anticipant la suite des mécaniques alors qu’en fait c’était purement illustratif. Peut-être que cela aurait prêté moins à confusion en le présentant comme un texte diégétique ? (genre un extrait du traité d’Ugyès)
Information design et objet-livre
Après avoir pas mal grenouillé sur les blogs et les (défunts) Google+ de l’OSR, je me trouve souvent à analyser les bouquins de jeu de rôle du point de vue de l’information design et de l’utilisabilité des livres à la table. Je ne suis pas un fétichiste de l’objet-livre en jeu de rôle, et les effets de vernis sélectif et de papier glacé couleur pleine page me laissent assez froid, surtout lorsqu’ils sont faits aux dépens (économique et d’utilisation) du jeu.
En ce qui concerne l’information design, je recommande souvent des jeux de société modernes, notamment l’excellent Scythe, où par le design graphique et l’utilisation haptique de pions des règles, qui mettent une bonne demi-heure d’explication et suscitent des gémissements de peine de la part de ceux qui y jouent pour la première fois, sont intégrées dès le deuxième tour. En exemple de JdR récent de ce type, je te conseille de jeter un œil à Mothership et son mégadonjon Gradient descent, qui sont assez bluffant en termes de design graphique et d’organisation de l’information.
Les livres de Trip to Skye sont assez agréables à prendre en main, avec un bon format, un papier non glacé qui permet de prendre des notes, de la place dans les marges pour le faire, une police assez grande pour les yeux fatigués (un peu trop peut-être ?) qui permet une lecture facile et rapide, et un référencement et des renvois de pages bienvenu et pratiques en cours de lecture.
Un principe tiré des ouvrages de LotFP que je trouve incontournable est l’utilisation des intérieurs de couverture. Je ne sais pas si c’est possible techniquement (et économiquement) avec l'imprimeur, mais mettre la carte annotée de Skye, les petits schémas des différents types de problèmes, le récapitulatif des scènes d’action, et les symboles des obédiences occultes faciliteraient grandement le flow du jeu et l’utilisation des manuels à la table.
La fiche de personnage me paraît un peu austère et “flottante” d’un point de vue purement graphique, mais l’ergonomie est top. J’en ai bidouillé une (trouvable ici : https://drive.google.com/file/d/1ggFKCWdjvZ4tJfq4fiX7EHSXyNE784r0/view?usp=sharing) avec des indications en rab’ pour l’aisance de jeu des joueurs débutants.
J’ai été surpris de ne pas trouver d’ours car au final le nom de Romaric n’apparaît que sur la couverture, ce qui renforce le sentiment (pas désagréable au demeurant) de lire un roman. Dans la partie remerciements, pas mal de jeux de rôles anglais mettent les polices utilisées maintenant, ce qui me semble être une bonne idée pour faciliter les créations de fan. Dans le cas d’un bouquin qui utilise des illustrations comme celles-ci, j’apprécierais vraiment à la suite de chaque ouvrage les pages où sont utilisées les illustrations, pour pouvoir les retrouver sur le site de la BNF et les imprimer à part pour donner une ambiance ou les réutiliser en aides de jeu ou dans des papiers liés au jeu.
Références et imaginaire évoqués
J’aime beaucoup la démarche de présenter l’ensemble des sources d’inspiration et des références qui sont incluses dans le jeu pour deux raisons : c’est pratique pour le MJ afin de présenter l’univers aux joueurs, pour lui ou pour tracer des parallèles ; c’est honnête dans le sens où Romaric présente l’origine de certaines de ses idées (ce que certains omettent voire prétendent avoir inventées tous seuls comme des grands). Dire comment Trip to Skye se rapproche de ces sources, et comment il s’en éloigne permet de bien cerner l’objet du jeu.
Voilà quelles sont les références que la lecture du jeu m’ont évoquées, afin de pouvoir y jeter un oeil si le cœur vous en dit :
- Les Contes de Terremer - Ursula Le Guin. Par un heureux hasard, l’intégrale a été ma lecture du confinement et elle résonne avec le jeu de bien des manières. Tout d’abord, c’est un univers noblebright (opposé du grimdark) sans guerre généralisée ni tyran maléfique tenant le monde entier sous sa coupe. Le monde est un archipel d’îles habité par des hommes et des femmes vivant avec simplicité et harmonie, bien que des pirates rôdent. Il n’y a pas d’exploitation systématisée de la nature. La magie se pratique au travers des mots et non du souffle mais la philosophie d’équilibre et d’utilisation raisonnée est comparable. Tout le monde poursuit un idéal, même les méchants, et à la fin le moyen de les arrêter est plus souvent de les convaincre de la fausseté de leur idéal que de les terrasser par la force ou la magie. Ainsi, Ursula Le Guin a vertement critiqué l’adaptation des Studio Ghibli en disant que le principal problème est que le gentil gagne et arrange toute la situation en tuant le méchant à fin, ce qui n’est ni réaliste ni souhaitable. Après avoir lu ses livres, je trouve que c’est un bon anime en soi, mais je le considère comme une très mauvaise adaptation.
- Les Aventures du brave soldat Švejk - Jaroslav Hašek. C’est surtout la citation de la quatrième de couverture de Secrets de Skye qui m’a rappelé l’histoire de ce héros populaire débonnaire dont on ne sait jamais vraiment si l'imbécillité est feinte ou non. Au début de ses aventures, Švejk se fait jeter dans les geôles de la sinistre police secrète austro-hongroise et son compagnon de cellule est un homme qui hurle sans cesse “Je suis innocent ! Je suis innocent !”. Švejk se tourne vers lui et lui dit doucement “Vous savez, Jésus Christ aussi était innocent”, avant de s’endormir paisiblement.
- Le souffle de Skye évoque terriblement le tao chinois, lui aussi basé en partie sur le souffle (mais c’est sans doute fait exprès)
- Les Scarifiés - China Miéville. Dans l’univers de fantasy un peu steampunk de Bas-Lag, une jeune traductrice se fait enlever par la nation pirate d’Armada, vaste ville constituée de bateaux accrochés les uns aux autres. Il y est question de moteurs thaumaturgiques et de races étranges, dans un monde plein de mystères. Je n'en dis pas plus pour ne pas déflorer ce livre lui aussi “à secrets” mais je ne peux que le conseiller vivement.
- Le clip de Eye of the storm - Ben Lovett (https://www.youtube.com/watch?v=H1mX8ptsmBM). Bien que l’esthétique soit un poil plus steampunk que TtS, l’ambiance dégagée et les visuels me semblent “coller”
Pinaillages divers (et inutiles)
Comme je l’ai dit plus haut, le jeu est très bien écrit et aisé à lire, mais quelques points m’ont fait buter et relier la phrase plusieurs fois, et je ne suis pas sûr d’avoir compris certains points au final.
SdS
p. 219 : dernier paragraphe sur le reflet des spectres. Avec la double négation de la dernière phrase de la page 219, j’ai eu du mal à comprendre la phrase. Je n’ai compris qu’en relisant tout le chapitre, avec le passage qui parle des miroirs manufacturés, dont j’ai capté qu’il s’étendait à tous les objets ou créations artificielles (ici un lac), et encore après quelques lectures.
p. 273 : dernière ligne de la page : je ne comprends pas en quoi les humains deviennent esclaves de leurs gènes. La phrase ferait plus sens pour moi s’il s’agissait des échoéens mais je ne suis pas sûr d’avoir tout compris là.
Voici enfin mes préférences purement personnelles qui ne gênent en rien la lecture ou l’utilisation de Trip to Skye
TtS
p. 165 : dans l’exemple de la scène de répit, je pense qu’il aurait été pertinent de rappeler la phrase rituelle “Tu reprends ton souffle” pour bien l’ancrer
SdS
p. 137 : dans l’article sur la Vinomancie il est question d’éviter d’être treize à table, et vu que je ne me souviens pas d’autre référence au chiffre 13 portant malheur dans le monde de Skye, j’ai automatiquement fait le lien avec la coutume du monde réel et ça m’a un peu sorti de mon immersion
Partas : la référence à Sparte me hérisse toujours un peu le poil depuis que j’ai lu une série d’articles sur le blog de l’historien Bret Devereaux qui démonte le mythe de la supériorité militaire spartiate tout en montrant quelles horribles personnes ils étaient globalement. (https://acoup.blog/2019/08/16/collectio ... an-school/) Je conseille globalement l’ensemble de son blog où il applique son regard d’historien militaire aux représentations de la pop culture(notamment Le Seigneur des Anneaux et Game of Thrones), avec justesse et drôlerie
Podcast pendant ce temps là à la Baro - relecture avec Darky
A un moment vous cherchez un équivalent au waste du terme anglais wastelands. L’expression qui m’est venue en tête à ce moment-là est terre gaste, qui est liée étymologiquement avec waste d’ailleurs, et qui apparaît surtout dans la légende arthurienne (réf Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A2tine)
En conclusion Trip to Skye est à mes yeux une grande réussite jeuderôlogique, avec un système de jeu très bien défini, une grande cohérence entre ses règles et son univers, et un monde qui ouvre grand les portes et les fenêtres de l'imaginaires. Ca me semble être un très bon outil pour l’initiation, en commençant avec des aventures de cape et d’épée piratesques et picaresques assez simples avec un éventuel grand final métaphysique, le tout supporté par un système de résolution facile à prendre en main (littéralement).
Bref je n’ai qu’une hâte : le faire jouer, et un regret : avoir lu Secrets de Skye et ne pas pouvoir découvrir les secrets en jeu (même si les découvrir au cours de la lecture était déjà bien cool).